Huit heure quarante, comme depuis un moment déjà je n’ai pas réussi à me lever à sept heure, ni sept heure et demie ou à moins le quart. J’ai répondu à des mails jusque tard puis je me suis figé dans mon lit les yeux fermés mais l’esprit bouillonnant, le temps ne m’attendant pas jusqu’à une heure que je n’aurais pas vu arriver. Jusqu’à ce que enfin, tout s’apaise sans que je ne m’en rende compte.
Allumer l’ordinateur, survoler les mails de la nuit, foncer faire couler un café et sauter sous la douche pendant qu’il refroidit. Monter au bureau en troisième vitesse, commencer à dépiler et répondre aux mails les plus urgents. Organiser la réunion, les messages qui commencent à tomber sur la messagerie instantanée, « salut ça va ? ». Ouais ça va mais viens-en directement au fait on gagnera du temps du con. Retour aux mails, appel vidéo impromptu, je décroche. Un fournisseur m’appelle sur mon portable quasiment au même moment. Re-message instantané, y’a pas les licences d’export du bouzin, OK et bien ? Ça va prendre du temps et je dois trouver une alternative. Neuf heures trente, la réunion commence et je n’ai rien préparé, enfin si, j’y ai pensé hier soir jusqu’à 2h du matin, je saurai improviser. Re-message instantané, je ne réponds pas, ne le lis pas, je suis en réunion merde ! Cinq minutes après, invitation pour une autre réunion à dix-neuf heures; c’était donc ça le message. Je devine que c’est pour la côte Ouest. L’intitulé est un truc obscur sur un thème dont je n’ai pas entendu parler, comme trop souvent. Car oui, trop souvent les gens viennent me voir une fois qu’ils ont un problème, et pas avant afin de les anticiper, je dois trouver une solution rapidement alors qu’ils avaient six mois pour me parler du projet, faire un kick-off propre pour qu’on en tienne les tenants et les aboutissants si jamais ça devait être la merde. Mais non, ça serait trop simple.
Il est midi, ma vessie va exploser et je n’ai encore rien fait de concret sur mes projets. Je profite de l’accalmie pour m’y pencher, je mangerai vers treize heure.
L’après-midi et les jours suivants ? On copie-colle. Voilà donc, la tyrannie de la seconde. Ironique pour quelqu’un qui aime les tocantes.
Depuis mon burn-out et ma rupture conventionnelle, je suis au chômage. Et le chômage c’est comme la retraite, on est toujours très occupé.
Très occupé certes, mais peut-être mieux. Je réapprend doucement à vivre, tout en ayant un bien meilleur rythme que lorsque j’étais salarié. Réveil naturel vers huit heures, puis s’enchaînent le café et les activités. Mais alors, on fait quoi au chômage ?
– On lit dans un transat
– On regarde des vidéos sur youtube
– On regarde les offres d’emploi
– On rédige parfois, lorsque vraiment la fiche de poste nous parle, des lettres de motivation
– On suit des cours
– On joue à des jeux vidéos
– On regarde les nuages passer, on écoute les oiseaux piailler, toujours dans le transat
– On jardine
– On repeint
– On lit le journal quotidiennement
– On lit dans un lit. Dans un fauteuil. Et par terre aussi.
– On va boire des coups à l’improviste
– On divague à imaginer notre futur, à essayer de choisir une direction précise (et on aimerait qu’elle s’impose telle une évidence).
– On divague à rien
Et j’en passe
Mais surtout je me surprends à réapprendre à ne rien faire. Observer les nuages passer, les oiseaux qui piaillent en volant, connards de chieurs. La cime du sapin se balancer au gré du vent. Et je dois avouer que ça m’avait manqué, que j’avais oublié ces choses là. Hasard ou pas, j’ai aussi l’impression d’avoir une meilleure vue (bon, je reste myope comme une taupe. Inutile d’appeler le Vatican pour annoncer un miracle).
Le temps on j’avais l’impression d’être en apnée du matin au soir me semble loin. Plus besoin de courir pour aller pisser entre deux réunions. Au diable, la tyrannie de la seconde !
On a encore souvent l’image du fonctionnaire un peu branleur, qui passe plus de temps à discuter qu’à faire. Sauf que j’observe que ça se passe aussi dans le privé. Et que ces gens ont sans doute raison quelque part. Les stakhanovistes mettant en avant le mythe du travail acharné n’ont qu’à bien se tenir, je ne ferai pas deux fois la même erreur; quand bien même j’imagine et j’espère continuer à être intègre et méticuleux dans ce que je fais.
